« La France est le dernier pays européen où un vide juridique persiste autour des cendres des défunts.... La loi précise d’emblée qu’elles devront donner lieu à respect, décence et dignité. » (Jean-Pierre Sueur, sénateur)
La crémation, un néologisme pour une nouvelle pratique.
Le monde entier connaît le sens du mot « crématoire », rendu sinistrement « célèbre » par les errances monstrueuses de l’Allemagne nazie...De nos jours, le terme de « crémation » se libère de son lourd passé historique pour devenir une « pratique courante » dans le domaine du funéraire. Même si on devait, en bon français, utiliser le mot « incinérer », les milieux spécialisés lui préfèrent de loin un néologisme ( pas si néo que ça !) : « on brûle les ordures dans un incinérateur, on ne peut décemment utiliser le même mot pour brûler nos morts ! » Il est alors de bon aloi de décliner le mot « crémation » en « crématiser », en crématiste, etc. La seule exception éventuellement tolérable réside dans l’acte criminel...Quand Henri Désiré Landru brûlait ses victimes dans le fourneau familial, on peut alors parler d’incinération puisqu’il n’y a alors aucun caractère sacré, bien au contraire, il s’agit juste de calciner des corps dérangeants comme d’autres se débarrassent d’ordures.
La banalisation d’une pratique qui s’accompagne de graves dérives.
D’à peine 1% en 1979, le nombre de crémations en France est désormais de 26% et ne devrait pas en rester là...les observations faites dans les milieux funéraires estiment désormais à 50% la demande de crémations. Pourquoi ce retard en France par rapport à nos voisins européens ? La Grande Bretagne (71%), la Suède et la Suisse (63%)...ont adopté depuis longtemps cette pratique mortuaire, et ceci, sans état d’âme ! Il est grand le mystère de la Foi...et il demeure un sacré flou sur le « marché » de Grande Faucheuse en notre beau Royaume. Le caractère hautement sacré et douloureux des obsèques fait il de nos chers compatriotes une version « mortelle » des moutons de Panurge ? Il ne faut pas oublier que les établissements funéraires sont et restent des vendeurs et que la crémation reste le moyen le plus économique en termes d’obsèques, d’où une opacité véritable des professionnels : « le cercueil utilisé pour la crémation est le moins coûteux, le plus simple et n’est que très rarement présenté dans les catalogues des entreprises funéraires... ». Est on, dans les circonstances du décès, gêné par la solution économique, trop endolori par la peine ou soucieux de « vouloir trop bien faire » ? On peut estimer que la Mort est une situation difficilement gérable et les familles se reposent volontiers sur l’épaule et l’expérience des professionnels mortuaires. Quels bouleversements ont amené les français à reconsidérer cette pratique ? En premier lieu, on peut considérer que la crise économique est passée par là, amenant un éclatement de la cellule familiale avec l’abandon de la sépulture familiale. On peut également prendre en compte l’évolution des mentalités et des croyances avec maints apports culturels et psychologiques...Etat de faits s’accompagnant de la déchristianisation progressive de la population et l’acceptation de la pratique crématoire chez les catholiques pratiquants, de l’aspect quasi industriel de certains cimetières avec des problèmes de disponibilités limitées dans les grandes métropoles et de la promotion faite sur la vente des concessions pour 30 ou 50 ans au détriment des concessions perpétuelles. Enfin, on peut également considérer une dimension écologique (qui reste à prouver) et la quête d’une certaine purification.
Le côté novateur de cette nouvelle forme de funérailles amène du flou dans les textes de loi et de graves dérives, voire des situations morbides...D’où la volonté de certains sénateurs et de certaines associations (voir plus bas l’article sur l’association des crématistes d’Ille et Vilaine) de voir passer le texte de loi encadrant les urnes funéraires. On a pu ainsi trouver des urnes dans des décharges publiques, dans des brocantes, reléguées au même rang que du matériel « vintage » ( ?!), déposées sur des plages voire aux objets trouvés...Sans compter l’utilisation de « poussières humaines » dans l’orfèvrerie ou adjointes à de la peinture dans des œuvres peintes ! C’est pourquoi le texte de loi prévoit de supprimer toute appropriation privative des cendres...cette interdiction mettra terme aux querelles intestines des familles et de leurs proches quant à la décision du lieu de repos éternel pour que « chacun puisse se recueillir et faire oeuvre de mémoire ». De trop nombreuses fois, l’urne funéraire conservée sur la cheminée du salon ou dispersée dans un jardin avait provoqué de graves contentieux familiaux...Il faut pour cela savoir que les cendres contenues dans l’urne funéraire font juridiquement partie des « souvenirs de famille » et que maints procès ont déjà divisés des héritiers quant aux partages de ces dites cendres. La proposition de texte de loi de JP Sueur inclue l’obligation pour toutes les communes de plus de 10.000 habitants d’avoir un colombarium ou un cavurne avec la même protection pénale qui entoure aujourd’hui les monuments aux morts en cas de profanation...Affaire à suivre !
Assorennes a rencontré le délégué de l’association des crématistes d’Ille et Vilaine pour faire un point sur cette nouvelle pratique.
La crémation est un mode d’obsèques autorisé, en France, par la loi du 15 novembre 1887 relative à la liberté de funérailles. Ce n’est qu’en 1963 qu’elle est reconnue par l’Eglise. Toutefois, très peu de villes sont équipées de crématoriums -117 ont été recensés en France, y compris territoires d’outre mer- et/ou ne disposent pas des lieux adaptés pour la dispersion des cendres.
En 1999 s’est créée l’Association Crématiste d’Ille et Vilaine dans le but de faire face à cette insuffisance et de faire respecter la volonté de ses adhérents. L’association intervient auprès des élus pour que « chaque cimetière soit équipé d’un espace cinéraire, espace destiné à recevoir des urnes ainsi que les cendres à disperser au sein d’un jardin prévu à cet effet ». A Rennes, seul le cimetière de l’Est est doté d’un columbarium.
L’association agit comme un groupe de pression politique « pour répondre à la demande populaire »... en 2006 la proportion des crémations est de 26%. Le devenir des cendres est au cœur des préoccupations de l’association, elle ne conseille pas la conservation des cendres chez soi afin de faciliter le deuil extra familial. De nombreuses demandes ont été adressées aux sénateurs à ce sujet. Le jeudi 22 juin 2006, le sénat a adopté à l’unanimité une proposition du PS qui confère un statut juridique au devenir des cendres. Le texte leur prévoit trois destinations : 1.la conservation dans une urne placée dans un cimetière, 2.la dispersion dans un jardin du souvenir, 3.ou la dissémination en pleine nature.
Afin de bénéficier d’obsèques avec crémation, il faut faire connaître oralement ce souhait à son entourage. L’Association Crématiste d’Ille et Vilaine veille au respect de la volonté de ses adhérents, qui lui confient un testament crématiste. Elle les conseille et vérifie les tarifs proposés par les entreprises funéraires. Le prix d’une crémation tourne autour des 1500 euros. L’adhésion est de 28 euros pour les couples, 18 euros individuelle... L’association informe ses adhérents sur ces activités par le biais du « Bulletin Crématiste du Pays Gallo », qui leur est adressé trois fois par an.
Pour l’instant, les habitants du département d’Ille et Vilaine ne disposent que d’un seul crématorium, celui de Montfort sur Meu. La construction d’un deuxième est prévue pour 2008 à Vern sur Seiche. Cependant cela ne répond pas aux problèmes d’équipement crématistes indispensables. Les crématoriums ne disposent que d’un local de dépôt provisoire des urnes cinéraires qui permet à la famille de se décider sur la destinée des cendres... ce dépôt ne peut excéder quelques mois. Un accord est signé au préalable entre le gestionnaire de l’établissement et la famille pour préciser la durée de celui-ci.
Contact : Association Crématiste d’Ille et Vilaine Permanence tous les mercredis de 15h à 18h 5 rue du Pré Perché 35000 Rennes Tél. : 02.99.67.53.07
Entretien avec Eliane Daniel-Ammi, préposé au service funéraire de la Ville de Rennes
Vous êtes préposée au service funéraire de la ville de Rennes...En quoi consiste exactement votre travail ?
Mon travail consiste à accueillir les familles, les accompagner dans leurs différentes démarches, acquisition et renouvellement de concessions funéraires, organisation de l’inhumation et accompagnement du convoi funéraire, délivrer après vérification des dossiers les autorisations nécessaires pour une inhumation ou une exhumation, procéder aux divers enregistrements administratifs...
Combien y a-t-il de cimetières à Rennes ? A combien estimez-vous le nombre de tombes à Rennes ? Comment sont placés les cimetières ? Pourquoi les éloigner des lieux d’habitations ?
Il y a 3 cimetières à Rennes : le cimetière de l’Est, 16.5ha pour 29 000 sépultures ; le cimetière du Nord, 8.5ha pour 13 600 sépultures et le cimetière de Saint Laurent, 1ha pour 870 sépultures ; soit 43 470 tombes pour l’ensemble des cimetières rennais. Le 10 mars 1776, un édit royal ordonne, pour des raisons d’hygiène, de transférer les cimetières hors des villes du royaume. En 1784, le Parlement de Bretagne impose par un arrêt la création d’un nouveau cimetière à la communauté de la Ville de Rennes. C’est ainsi que la Ville de Rennes a pu procéder à l’acquisition de terrains en vue de créer le cimetière du Nord, puis en 1887, le cimetière de l’Est. Les cimetières doivent être éloignés des lieux d’habitation non seulement pour des raisons d’hygiène mais aussi pour respecter le deuil des familles.
Pourquoi n’y a-t-il pas de crématorium à Rennes ?
Le choix d’un crématorium pour l’agglomération rennaise s’est porté sur la commune de Vern sur Seiche plutôt que Rennes car l’implantation d’un crématorium nécessite une emprise foncière conséquente située en dehors des habitations. C’est un crématorium pour la métropole de Rennes et le terrain requis pour cette construction est non seulement à proximité de Rennes mais bien desservi au niveau des transports.
Est-ce que la demande est forte en matière de crémation ? A Rennes ? En Bretagne ? Au niveau national ?
En Bretagne la demande de crémation a évolué lentement. En 1987 elle ne représentait que 1.87% des décès sur la commune de Rennes, aujourd’hui elle atteint plus de 20%. Au niveau national, la demande en matière de crémation dépasse aujourd’hui le quart des demandes d’inhumation.
Est-ce que les cimetières sont équipés de columbariums ?
A Rennes, seul le cimetière de l’Est est doté d’un columbarium. Réalisé en 199, dans l’ancien logement du concierge, il s’est vu annexé d’un second columbarium extérieur en 1998. Ce dernier fait l’objet d’un programme annuel d’extension.
En quoi la crémation est un atout en matière d’hygiène ? En matière de gain de place ?
La crémation répond essentiellement aux différentes évolutions de notre société en matière de relations sociales et familiales. En effet, la mobilité en matière d’emploi fait que le cercle familial s’étend dorénavant non plus sur le territoire local mais sur le territoire national, voire international. La crémation et la remise d’urnes dans un columbarium permettent de reprendre possession de l’urne, de la transporter dans son véhicule personnel avec des formalités minimales sans avoir besoin de recourir à l’exhumation des restes mortels du défunt. La crémation représente effectivement pour les cimetières une utilisation moindre de l’espace car une urne peut être remise dans un columbarium ou encore dans une sépulture familiale en terre ou caveau, elle peut également être scellée sur le monument funéraire.
Quelles sont les démarches à entreprendre pour la crémation d’un proche ?
La première démarche est de prendre contact avec l’organisme des Pompes funèbres qui se chargera de l’organisation des funérailles tant au niveau des intervenants civils ou religieux y compris le crématorium et le service funéraire. Il sera nécessaire que la personne chargée de l’organisation des funérailles soit le plus proche parent atteste de la volonté du défunt d’être « crématisé » soit par un écrit, soit par une déclaration écrite ou verbale sur l’honneur de celui qui en fait la demande.
En cas de pandémie extrême, digne d’un scénario catastrophe, comment se passerait l’ensevelissement des corps ? Y a-t-il de la place prévue pour ça ? Y a-t-il un plan B pour ce genre de situation ?
En cas de pandémie ou catastrophe, il existe effectivement un plan prévisionnel élaboré par la Préfecture en lien avec la Ville de Rennes afin de répondre dans l’urgence, aux différents besoins de la population. Il consiste entre autre à réquisitionner un certains nombres de lieux afin d’établir des chapelles ardentes et de mobiliser les organismes de pompes funèbre ainsi que le personnel municipal et plus particulièrement celui des services techniques, état-civil et funéraire. Une réserve foncière est également conservée dans l’enceinte du cimetière de l’Est pour répondre aux besoins d’inhumation directement liés à ce genre de catastrophe.